Le public se presse dans la Galerie de la Fontaine Obscure pour le vernissage de l'exposition de photos d'Alexandra Polina.
Alexandra , la trentaine, drapée dans une robe rouge présente la série Made in USSR.
Alexandra Polina est née en 1984 à Tashkent en Ouzbekistan. Elle vit aujourd'hui à Brême, a exposé dans de nombreux pays. Le travail qu'elle présente aujourd'hui constitue un portrait de la dernière génération soviétique. Après la perestroïka elle émigre en Allemagne Elle raconte : "Dans les années 80, nous constituions la dernière génération de citoyens soviétiques, grandissant comme des petits héritiers d'Octobre ou de Jeunes Pionniers. Nous regardions les mêmes dessins animés, étions élevés selon les mêmes principes et partagions la même langue. Pendant notre enfance, nous avons vu de nos propres yeux la chute du communisme et nous avons été témoins de la période mouvementée de la Pérestroïka. Comme nous étions des adolescents dans les années 90, nous avons vu nos repères, nos traditions, nos façons de vivre et nos mentalités, voler en éclats et être redéfinis. Beaucoup d'entre nous ont émigré après la chute de l'union soviétique dans diverses nations dans le monde entier, endroits où nous vivons aujourd'hui dans un monde capitaliste. Avec en tête les aspects qui nous relient les uns aux autres, je fais le portrait de membres de cette génération qui est aussi la mienne. L'iconographie de l'époque est revisitée en utilisant des éléments modernes et contemporains, en cassant l'esthétique mensongère des affiches historiques de propagande, symbole du pays dans lequel nous vivions. Les tableaux idéalisés sont détournés par de jeunes individus dans une mise en scène qui - du point de vue de ma génération - dépeint un mélange grotesque d'aspects déroutants et d'aspects familiers. Que reste-il en nous de notre pays natal ? "
Quelle part d'identité
Cette série de photos d'Alexandra Polina est inspirée donc des affiches soviétiques : plans américains sur fond de ciel bleu parfois traversé par de clairs nuages. Les jeunes gens modèles sont certes issus d'un milieu intellectuel et posent avec un livre, des documents et toujours tirés à quatre épingles.. Les yeux fixés vers le haut en direction d'un avenir radieux. Cette série évoque aussi les tableaux exposés dans les salles de la nouvelle Galerie Tretiakov consacrée à l'art depuis 1905 et au réalisme soviétique. Les bras des jeunes gens souvent tendus vers le chemin à suivre seraient ils inspirés des statues de Lenine haranguant la foule ou de la célèbre sculpture de l'artiste Moukhina "l'ouvrier et la kolkozienne". C'est aussi un clin d'œil aux grands panneaux d'affichages sur certaines places en URSS qui exhibaient les portraits de l'ouvrier modèle et méritant. De nos jours subsistent dans certaines villes d'immenses panneaux avec les photos et le nom des héros de la grande guerre patriotique. Comme sur les affiches soviétiques les couleurs sont peu nombreuses et tout est dans la sobriété et le message. Un attribut rouge domine sur toutes les photos : drapeau, oeillets, chemisier, ou livre sur le fond bleu du ciel en contraste avec des éléments blancs. Une photo exhibe une jeune fille avec un bouquet d'oeillets et sur une autre, un jeune homme tient trois oeillets.
Quelle en est la symbolique ? Les grecs ornaient d'oeillets les couronnes des athlètes vainqueurs, les romains utilisaient les oeillets en cuisine pour honorer les dieux et dans la peinture du Moyen Âge, l'œillet symbolisait l'engagement et la fidélité conjugale. L'œillet rouge est un des symboles du mouvement ouvrier. En France tout particulièrement on porte un œillet rouge à la boutonnière pour la fête du Travail. Délaissé en République fédérale Allemande, ce symbole était très utilisé en République démocratique allemande, entre autres par les organisations de jeunesse. Sur les affiches soviétiques les différentes nationalités de l'immense URSS étaient représentées. C'est certainement encore un clin d'oeil à cette tradition puisque nous découvrons une ukrainienne, un Ouzbekh, et d'autres nationalités.
La conversation se prolonge après le vernissage avec Alexandra Polina qui nous parle de ses grands parents qui ont certes participé à sa construction d'artiste. Son grand-père comme bien des personnes de sa génération a subi la chute de l'Union soviétique comme une véritable déflagration. Sa chambre était tapissée de drapeaux rouges, d'affiches de propagande et de symboles soivétiques.
Lorsqu'on pénétrait chez lui on découvrait un véritable musée de l'ère soviétique. Son autre grand-père, elle ne l'a pas connu car prisonnier en France pendant la deuxième guerre mondiale il a été dès son retour envoyé en Sibérie. A travers l simplicité et le dépouillement de ces photos se cache une façon subtile et parfois avec un brin d'ironie, toute la complexité de la représentation de l'identité et de l'imaginaire.