1ère partie : La situation économique avant la guerre
Dans les années 1895-1897, juste après le couronnement de Nicolas II en 1895, le ministre des finances russe Serge Witte fait passer une importante réforme monétaire avec pour but d'introduire l'étalon-or dans le système monétaire russe, de renforcer le cours du billet du rouble-papier (billets de banque) et rendre le billet facilement convertible en or. A cette époque le cours du rouble-papier était de 1 rouble 50 kopecks pour 1 rouble-or. Afin d'ajuster leurs coûts, Witte provoque une dévaluation du rouble de 1/3 de sa valeur, c'est ainsi qu'en 1897 la pièce de 10 roubles (l'Impérial) devient 15 roubles et la pièce de 5 roubles (demi-Impérial) devient 7 roubles et 50 kopecks, tout en gardant le même poids et la même pureté d'or. Pour facilité les échanges s'ajoutent deux nouvelles pièces en or – celle de 5 roubles en 1897 et celle de 10 roubles de 1898.
De cette manière la convertibilité du rouble-papier et du rouble-or est restaurée au cours initial – un rouble-papier est égal à un rouble-or. Ainsi sur les billets de banque, dont l'émission est très strictement contrôlé par l'Etat afin que tous les billets soient garanties par leur valeur en or, nous pouvons lire :
« La Banque d'Etat échange les billets de banque pour de l'or sans aucune limite de somme (1 rouble = 1/15 d'Impérial, contient 17,424 part d'or pur). » Le billet d'un rouble-papier, émis entre 1898 et 1917, mais l'année reste inchangée sur ces billets :
Au 1er janvier 1914 il y avait au total 1 664 millions de roubles-papier en circulation pour une réserve d'or de 1 695 millions de roubles-or, ce qui garantissait à 101.8% les billets de banque et laissait à l'Etat la possibilité d'émettre pour encore 330.5 millions de roubles de billets. Cela inspirait confiance au Rouble non seulement à l'intérieur du pays, mais aussi à un niveau international. De leur côté, avec le passage à l'étalon-or, les pièces de monnaie en argent, au même titre que les pièces en cuivre, deviennent un simple moyen pour faciliter les échanges. Les pièces de 1 rouble, 50 kopecks et 25 kopecks sont fabriquées avec un argent d'une pureté de 900/1000, celles de 20, 15, 10 et 5 kopecks en billon, donc en 500/1000 d'argent.
Et les pièces en cuivre avec une valeur nominale de 5, 3, 2, 1 kopecks et les plus petites valeurs, divisionnaires du kopeck – le ½ et le ¼ de kopeck.
A la veille de la 1ère guerre mondiale, la Russie était arrivé à avoir la même force de production que la France et le Japon, et les revenus de l'empire étaient plus élevés que les dépenses et constituaient un surplus de 433 million de roubles ! La réserve d'or du pays fut multipliée par deux depuis 1897 et atteignait 1,7 milliards de roubles en 1914, nettement plus que les réserves des plus grandes puissances mondiales de l'époque – la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne. Et cela grâce au commerce extérieur et à travers une augmentation de l'activité minière du pays, plus précisément l'extraction de l'or et de l'argent. Comme nous pouvons le constater, le système monétaire et l'économie russe dans son ensemble étaient en plein essor juste avant la guerre. Mais tout cela va basculer lorsqu'à quatre jours de la déclaration de la guerre à l'Allemagne, le 27 juillet 1914, la Douma vote une loi qui arrête l'échange par la Banque d'Etat des billets de banque pour de l'or, afin de sauver la réserve d'or du pays la veille d'une guerre. Cette date met fin à l'époque du monométallisme en Russie.
2ème partie : Le Rouble pendant la guerre
Cette loi du 27 juillet 1914, qui arrête l'échange par la Banque d'Etat des billets de banque pour de l'or, va faire très rapidement disparaître le rouble-or de la circulation monétaire, puisque la population ne va plus l'utiliser comme moyen de paiement mais va le thésauriser comme seule vraie valeur refuge en temps de guerre. C'est ainsi qu'en l'espace de très peu de temps la somme colossale de 988 millions de roubles-or vont disparaître de la circulation – 436 millions vont rester à l'intérieur du pays dans les coffres de la population, et 452 millions partiront à l'étranger. De cette manière le rouble-papier commence à perdre de sa valeur, d'une part parce qu'il n'est plus possible de l'échanger contre de l'or, et d'autre part à cause des spéculateurs qui vont profiter d'un sérieux manque de liquidité sur le marché suite à la disparition de l'or et, pour exemple, vendre un billet de 100 roubles pour 90-85 roubles en petites coupures.
Pour bien mener une guerre, l'Etat doit pouvoir rapidement transformer son économie nationale en une économie de guerre en utilisant les anciennes et en trouvant des nouvelles sources de revenus pour lever une armée et couvrir toutes les dépenses liées à la guerre. Parallèlement il faut éviter de mener les finances de l'Etat dans un gouffre et veiller à ne pas complètement désorganiser l'économie nationale. Tout cela montre à quel point un pays est prêt ou pas financièrement à mener une guerre. La Russie ne l'était pas... Au début de l'année 1915 commence une crise financière qui ne va que devenir pire les années à suivre. Le 1er août 1914 l'Allemagne déclare la guerre à la Russie, le 6 août c'est l'Autriche-Hongrie qui fait de même. C'est après ces événements que la ville de Saint-Pétersbourg, ayant une consonance trop germanique, devient Pétrograd par ukase du tsar Nicolas II le 18 août 1914. Ainsi vont disparaître à partir de 1915 des pièces de monnaies russes les initiales de la Monnaie de Saint-Pétersbourg – С.П.Б. pour Санкт-Петербург.
Dès les premiers jours de la guerre l'Etat russe a vu ses dépenses s'envoler. L'armée est passée de 1,36 millions de soldats à 10,8 millions ! Et chaque mois les dépenses ne faisait qu'augmenter – de 826 millions de roubles en 1913 les dépenses sont passées à 14,5 milliards de roubles pour l'année 1916 ! Si l'on compte par jour, les dépenses étaient de 10-12 millions par jour en 1914 et ont atteint leur sommet au début de 1917 avec 55 millions de roubles. Cette situation a été rendu encore plus difficile avec l'arrêt, en ces temps de guerre, de la vente de vodka, complètement contrôlée par l'Etat, qui s'est vu privé d'une source de revenus très importante qui lui rapportait presque 1 milliard de rouble par an. Pour couvrir toutes ces dépenses, l'Etat fait marcher la « planche à billets » et injecte dans l'économie 1,2 milliards de roubles-papier sans garantie d'or en juillet 1914, un autre milliard en mars 1915 et va atteindre 7,5 milliards de roubles-papier non garantie en circulation au 1er janvier 1917. Commencent alors à disparaître en premier les pièces en argent, puis les pièces en cuivre, et début 1916 tous les échanges ne se font qu'avec du papier-monnaie qui perd rapidement de sa valeur. L'Etat doit de nouveau faire face au problème de manque de liquidité et pour cela elle va émettre des monnaies-timbres de 1, 2, 3, 10, 15 et 20 kopecks – des timbres-postes du jubilé des 300 ans de la Maison Romanov imprimés sur du carton fin afin d'éviter qu'ils s'usent rapidement avec inscrit à l'arrière :
« En circulation au même tire que la monnaie en argent » / « En circulation au même tire que la monnaie en cuivre »
Ces monnaies-timbres pouvaient être utilisées aussi bien en tant que monnaie que timbre de poste.
Pour remplacer la pièce d'un rouble en argent, disparue de la circulation, par l'ukase du 6 décembre 1915, l'Etat émet une nouvelle série de billets d'un rouble dite « émission de guerre », lorsque ce n'est plus chaque billet avec son propre numéro, mais toute une série d'un million de billets avec un seul et même numéro constitué de deux lettre et de 2 ou 3 chiffres :
Par ce même ukase sont mis en circulation une monnaie de nécessité sous forme de bons du Trésor russe de 1, 2, 3, 5 (équivalent des monnaies en cuivre) et 50 kopecks (équivalent des monnaies en argent) :
En 1916, faute de manque de métal dans le pays, la Russie va acheter de l'argent au Japon pour la fabrication des pièces de 10 et 15 kopecks et va les faire frapper sur place dans l'atelier monétaire d'Osaka. Ces pièces, plus rares, se distinguent des pièces frappées en Russie par l'absence des initiales du « Münzemeister », c'est-à-dire du directeur de la Monnaie de Petrograd à l'époque – B C pour Виктор Смирнов (Victor Smirnov) :
Du 1er juillet 1914 au 1er mars 1917 la quantité de papier-monnaie en circulation a été multiplié par 6,7 ! Tous les billets en circulation n’étaient couverts qu’à 16,2% par les réserves d’or du pays. La conséquence de ces émissions vont être la perte de la valeur du rouble qui tombe à 25 kopecks en 1917, autrement dit les prix ont été multipliés par 4, ce qui va entraîner une baisse importante du pouvoir d’achat et va détruire l’épargne de la population, et donc un appauvrissement général. Cette crise financière et économique ne va que devenir pire de mois en mois et se va se répercuter sur la vie politique du pays, ce qui mènera finalement le pays à la révolution…