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Portraits et destins: Une grand-mère française enterrée au cimetière russe de Nice


Au sommet du cimetière Caucade, deux tombes côte à côte dominent la baie de Nice. Sur le granit de l'une d'elle est gravé le nom d'Alexandre Guenadievitch Tchoubarov, lieutenant dans l'armée russe et sur l'autre le nom de ma grand- mère Tchoubarova née Claire Lion 1888 -1971 . Les croix orthodoxes se dressent un peu partout dans ce cimetirère et les caractères cyrilliques sur les inscriptions dominent. Les titres de grand duc, prince ou princesse, comte ou comtesse sont souvent gravés, orthographiés dans le style en usage avant la révolution. Le couple, elle française et lui russe est enterré dans des tombes voisines, la tradition exigeant une sépartion entre les militaires et les civils. Ma grand mère avait été mariée à Joseph Durand, son beau frère après la mort de sa soeur aînée qui laissait un petit garçon. Pratique normale pour l'époque. Elle élèverait son neveu comme un fils et s'occuperait du mari voeuf sans que d 'autres personnes soient introduites dans la famille. Le couple aura cinq enfant donc la famille sera composée de six enfants avec le demi-frère et ma grand mère élèvera cette petite famille entre un appartement bourgeois à Marseille et une propriété composée d'une grande maison de maître, d'une ferme et d'un magnifique parc arboré du côté de st Antoine, dans les environs de Marseille. Lorsque la guerre de 14 éclate, les provençaux sont envoyés en priorité en première ligne dans le nord-est. Nombreux laissent leur vie sur le champ de bataille ou sont blessés, et les mauvaises langues attribuent cette débandade au tempérament des gens du sud. Mon grand-père blessé et laissé pour mort sur le champ de bataille devra sa vie à un chirurgien allemand à qui il confie qu'il a six enfants à charge et une femme dans le sud de la France. Rétabli il sera envoyé au fort d'Ingolstadt en Bavière jusqu'à la fin de la guerre. Au fort d'Ingolstadt, il fera la connaissance du général de Gaulle et au cours de ces journées interminables de prisonnier il côtoie de nombreux roumains et russes. Il fait la connaissance d'Alexandre Tchoubarov, prisonnier comme bon nombre de ses compatriotes après la défaite de Tannenberg .Au début de cette guerre les russes ont largement le dessus mais les rapports de force changent et ils seront vaincus par les allemands. Grand nombre de russes périssent sur le champ de bataille ou sont faits prisonniers. A l'issue de la guerre Joseph Durand rentre dans sa famille à Marseille et Alexandre Tchoubarov tente de regagner son pays déchiré par la révolution et la guerre civile. Après maintes pérégrinations en Bulgarie et en Grèce il comprend qu'un retour en Russie devenue l'URSS est au péril de sa vie. Un de ses camarades qui s'est battu à ses côtés et a été assassiné dès son retour au pays. Il se souvient de son ami français qui lui a proposé l'hospitalité et le sollicite pour quelques recommandations pour l'obtention d' un visa pour la France. Tchoubarov, né à Nijni-Novgorod dans une famille de la noblesse russe retrouve un peu la vie d'antan lorsqu'il est invité par son ami Joseph dans la propriété de la Sonsine aux abord de Marseille. Dans le parc ou sur la terrasse de la belle demeure ces réfugiés russes parlent avec notalgie de l'ancienne Russie, de Raspoutine et d'après leurs dires du trésor des tsars caché en Angletterre. Mais Joseph succombera à ses blessures de guerre. Alexandre Tchoubarov a lui trouvé un travail de mécanicien à Nice. Comme un grand nombre de ses compatriotes, la barrière de la langue et la formation militaire sont des obstacles pour accéder à certaines professions. Alexandre Tchoubarov épouse ma grand-mère, convertie à la religion orthodoxe. Ils fréquentent l'église saint Nicolas et sainte Alexandra de la rue Longchamp et côtoient les russes blancs dans de Nice.Dans la famille on appelle oncle Choura cet homme de très grande taille qui porte une barbe impeccable et roule terriblement les R.

Alexandre Tchoubarov est abonné aux journaux de l'émigration et fréquente régulièrement la bibliothèque de la paroisse. Les letres et les nouvelles de sa famille se font de plus en plus rares. Des lettres de remerciements adressées à ma grand-mère sont calligraphiées dans un français parfait.Mon grand-père Joseph avait conseillé à ses amis russes de faire transiter les lettres de leur famille par Marseille. Puis ma grand-mère faisait suivre les courriers à son mari au fort d'Ingolstadt. Après le décès d'Alexandre Tchoubarov, ma grand-mère continue son apprentissage de la langue russe et se passionne pour cette culture et cette période de l'émigration partagée avec lui. Pour l'enterrement de ma grand-mèredans le cimetière russe Caucade, en plus de la tristesse de perdre cette parente avec qui nous avions des passions communnes, le culte orthodoxe pour des novinces en la matière relevait de la fiction. Le bulbe bleu de la chapelle, la voix du prêtre, les prières interminables, les odeurs d'encens mélées au parfum des mimosas, tout était surprenant et datait d'une autre époque. Et cette amie de ma grand-mère, Tamara,si menue et tellement âgée jetant une poignée de terre sur le cercueil, témoignage encore vivant de toute cette péridoe de l'histoire de l'émigration russe qui allait tourner une page.

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