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  • Elisabeth Orlov Borovik

Portraits et destins: Les russes blancs - Le Retour


Les russes blancs

Je m'appelle Elisabeth BOROVIK. J e suis née en 1935 de père russe et de mère française. Mon père était comte Orlov comme mon grand-père Michael Vasiliévitch Orlov, tous deux descendants de la dynastie des Orlov, comtes et princes depuis Catherine II. Au moment de la révolution russe en 1919, mon grand-père a émigré avec toute sa famille : ma grand-mère Victoria Ivanovna, née Yachnenko, noblesse de Kiev, mon grand-père et ma tante Irène. Ils ont embarqué sur le dernier paquebot en partance, tout comme dans la description du roman "la fuite" de Boulgakov. En 1939 mon grand-père décède et avant sa mort il confie à père "Mika, retourne en Russie avec ta famille". Il avait lui-même tellement rêvé d'y retourner mais la destinée lui avait joué des tours.

Mes parents habitaient à Paris et à Bormes-les- Mimosas où je suis née, mais la plupart du temps aussi à Montpellier, la ville de ma mère. Avec nous vivaient ma grand-mère Orlov, ma tante Irène et sa famille. Papa a appris le russe à ma mère ainsi qu'à nous ses enfants. Bien sûr toutes les traditions russes nous ont été enseignées. Je dirais franchement que j'étais plus russe en France qu'ensuite en URSS. Pourquoi ? Vous le comprendrez par la suite... Notre famille était composée de six enfants, dont le plus jeune avait 9 mois en 1947, et deux filles : Serge (1930), Vladimir (1934), Elisabeth (1935), Michel (1940) Irène (1945) et Boris (1947).

En route pour l'URSS Après la seconde guerre mondiale, en 1947, mon père nous emmène en URSSS. Notre voyage jusqu'en URSS se passe bien. Tous les adultes étaient heureux de retourner dans leur pays natal et s'attendaient à quelque chose d'agréable, de nouveau. Dès notre arrivée à Grodno sur la frontière russe, nos espérances et nos rêves se sont envolés, la tragédie a commencé. Un détachement du NKVD, mitraillette au poing et chiens en laisse nous a fait sortir des wagons à force d'injures ainsi que mille autres passagers. Il faisait déjà froid en ce mois d'octobre et la neige tombait. Ils ont tout fouillé, pillé, menaçant de leurs armes ceux qui se rebellaient. Cela a été notre première impression de l'URSS. Ensuite, on nous a tous parqués dans un ancien camp de concentration, dans des baraques où planait encore l'odeur de la mort. On pouvait encore voir des fosses communes avec des ossements humains. Etant la seule grande famille, nous avons été logé dans la maison de la gendarmerie. Affreusement nourris, nous étions traités comme des prisonniers avec défense de sortir du camp. Nous les enfants, nous courrions partout, nous approchions de la clôture de barbelés, assistant aux échanges de biens, comme des montres, contre des produits comestibles, trafics illicites qui valaient des coups à leurs auteurs.

De ville en ville Après plus d'un mois dans ce camp, ils nous ont dit de nous préparer pour partir vers l'endroit de notre choix. Mensonge encore car mon père ayant demandé d'aller à Rostov au bord de la mer Noire où le climat est bon et où vivait la fille de ma tante Irène, nous fûmes envoyés à Kostroma, sur la Volga. Entassés dans un wagon à bestiaux, à vingt-six, avec un sac de semoule, des conserves et un poêle, mais sans bois ni charbon. Pendant les arrêts qui duraient parfois quelques jours, papa et mon frère aîné Serge allaient à la recherche de bois, de charbon et de nourriture car au bout de quinze jours nous n'avions plus rien à manger. De Grodno à Kostroma, cela nous a pris un mois. On dormait tous sur le grand matelas ramené de France. Maman lavait avec de la neige et sur la marche du wagon les langes de mon petit frère Boris âgé de 10 mois. Toujours le froid, la neige et la faim... Enfin nous atteignons Kostroma par -25°.Aussitôt mon père est allé voir les autorités de la ville pour demander de l'aider à loger, chauffer et nourrir sa famille de six enfants. Papa est revenu en apportant du pain, de la semoule et un peu de bois. Puis on est venu nous chercher pour nous emmener aux Bains Populaires et enfin pour nous loger à l'hôtel des paysans, où sur les draps propres rampaient des poux, ce qu'on accepte fort bien quand il fait - 25° et qu'on est habillé comme à Montpellier, vous imaginez ! Mon frère attrapa une congestion pulmonaire et moi une otite mal soignée c'est pourquoi aujourd'hui je n'entends pas bien. Au début mon père n'avait pas de travail mais il finit par trouver à s'employer comme ouvrier du bâtiment, ainsi que mon frère aîné âgé de dix sept ans. Un jour, en traversant à pied la Volga prise par la glace, mon père est passé au travers de la glace. Mon frère l'a sauvé mais pour notre malheur notre père est tombé malade d'une grave congestion pulmonaire. Rien à manger, nous avions toujours faim et la maladie de papa s'est encore aggravée pour aboutir à la tuberculose, véritable catastrophe pour la famille. Pauvre maman ! Voilà une anecdote de cette époque : mes cadets avaient droit à de la nourriture qu'il fallait récupérer au jardin d'enfants. Ma mère m'envoyait chercher les repas de crainte que les enfants ne puissent se retenir d'y goûter mais je prenais quand même une cuillérée dans chaque plat. On avait faim, faim, tellement faim... Nous sommes restés à Kostroma jusqu'en 1948 lorsque papa, malade, à l'article de la mort se décide à demander à Moscou la permission de partir vers le midi en Crimée, résidence de Staline. permission accordée. Arrivés en Crimée, à Yalta, nous sommes hébergés dans un hôtel, le "Bolchevik" à moitié détruit, où se trouvent pas mal de gens sans logis après la guerre. On se nourrissait comme tout le monde de poissons qu'on ramassait au port où les bateaux débarquaient leurs produits de la pêche. Pas de pain, pas de sucre, rien de rien, quasiment la famine. Papa est presque mourant faute de nourriture appropriée. Pas de pain et les regards méprisants des gens qui se moquent de nous et nous jettent des pierres. Heureusement de braves gens nous venaient en aide comme ils le pouvaient. Au bout d'un certain temps, on nous attribue un appartement qu'il nous faut quitter presqu'aussitôt. Maman n'ayant pas de passeport soviétique, nous devons quitter Yalta dans les 24 heures ! Comment pouvait elle se procurer un passeport ? Toutes nos maigres affaires entassées dans une camionnette on nous emmène à l'autre bout de la Crimée. Nous voilà à Koktebelle dans un sovkhoze.Il y avait beaucoup d'espagnols, exilés comme nous qui nous ont laissé un très bon souvenir. Malheureux, ils faisaient tout leur possible pour venir en aide à notre grande famille avec le père malade. Dans les années soixante beaucoup d'entre eux sont retournés dans leur pays. Madame Volochina nous aidait aussi, femme du grand poète et peintre Maximilien Volochine. Le soleil du midi, les fruits et les légumes nous permettaient de mieux supporter le manque de pain et de tout le reste. Pendant l'été, mes frères travaillaient dans une briqueterie tandis que maman et moi nous occupions de notre petit jardin potager. Un jour, le directeur du sovkhoze vint chez nous accompagné d'un milicien pour fouiller nos affaires, à la recherche d'armes, suite à une dénonciation. Que de dénonciations calomnieuses de patriotes notre famille a t elle subi ! Quand la santé de papa s'est un peu améliorée, on lui a permis de travailler comme ingénieur du bâtiment, sa spécialité, pour reconstruire les caves détruites pendant la guerre. Nous avons donc connu de nombreux endroits en Crimée. La dernière ville au bord de la mer Noire fut Alouchta. En 1951, mes frères aînés Serge et Vladimir partirent à Leningrad (st Petersbourg) pour étudier la musique. Ils avaient en effet de belles voix de baryton et de ténor. Nouveau drame, Vladimir, envoyé au service militaire dans l'Oural est contaminé lors d'essais nucléaires. De retour à Leningrad, il finit le conservatoire de musique mais jamais il ne chantera à l'Opéra. En 1963, lors d'un concours il interprète Faust. Dans le jury se trouve la conservatrice de l'Opéra de Paris qui confie à Vladimir : " Nous vous prenons !". Mais les soviétiques le menacent d'envoyer ses frères et soeurs en Sibérie si ce dernier quitte l'Union soviétique. Adieu Paris ! Les années suivantes il chantait à la Philarmonie et a fait des tournées dans toute l'URSS. Plus tard il a subi une opération de la gorge du fait de sa contamination. Le système à l'époque supprimait tout ce qui ne lui convenait pas. Ma famille a toujours subi la surveillance du KGB. Le fils de mon frère Serge, de caractère faible s'est réfugié dans la boisson qui a ruiné sa santé. Ma soeur cadette , Irène a vécu dès l'âge de sept ans chez ma tante à Kiev. Elle a fait ses études à l'université, enseignant le français pendant vingt ans, jusqu'à l'indépendance de l'Ukraine , sans être déclarée. Quant à moi j'ai exercé des tas de métiers, entre autre factrice tout en suivant des cours du soir. Le KGB a eu l'audace de me proposer de donner des renseignements sur mes collègues de travail. J'ai refusé catégoriquement en précisant que je ne me vendais pas. Par la suite à quatre reprises on m'a empêché de passer mes examens à l'Institut de français. J'ai exercé les métiers de femme de ménage, ouvrière agricole, vendeuse etc... Pour rester forte je gardais en tête le proverbe de ma mère Il n'y a pas de sot métiers, seulement de mauvaises gens". En 1963 j'ai épousé Ivan Borovnik, lui aussi né en France, mon âme soeur ! Mon Dieu! le système auquel il n'adhérait pas lui a causé bien des préjudices. Dès l'âge de 16 ans il a été envoyé avec son frère cadet à Archangelsk où ils travaillaient dur. Après tout ce qu'il a enduré il a fini par renoncer à son passeport soviétique, ce contentant d'une simple carte de séjour ce qui lui a posé des problèmes pour ses études et pour la recherche de travail. Et pourtant, il parlait cinq langues : le russe, le français, le polonais, le biélorusse et l'allemand. En 1971 nous avons décidé de quitter la Crimée pour la Lituanie, mais à Vilnius le KGB était encore derrière nous.

Retours en France En 1991, mon mari est décédé. En 1992, mon frère Michel est parti vivre en France ainsi que mon cadet Boris (décédé en 2001). En 2000 enfin, mes frères aînés de st Petersbourg, Serge (décédé en 2004) et Vladimir sont eux aussi rentrés en France. Ma soeur Irène qui vivait à Kiev est décédée en 2000. Je me dis toujours " Qu'est ce que les bolchéviques ont fait de cette belle Russie, de ces peuples qui ont tant souffert, de ces millions de morts !" Mais je crois qu'elle renaitra de ses cendres comme le Phénix. J'adore la France, le pays où je suis née de mère française et la Russie, patrie de mon père. C'est pour cela que j'habite en Lituanie, pays que j'aime aussi, situé entre la France et la Russie. Ma fille vit en Russie, mon fils en France. Ndlr : le film "Est -Ouest" décrit parfaitement ce qu'ont vécu les russes émigrés à leur retour en URSS après la 2e guerre mondiale.

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