Il est un lieu incontournable pour tous les passionnés de l'histoire de l'immigration russe en France : c'est le cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois, situé à une trentaine de kilomètres de Paris. La petite église blanche, surmontée d'un bulbe bleu dans le plus pur style des églises de Novgorod, réalisée par l'architecte Albert Benois, les allées plantées de bouleaux, les croix orthodoxes et les petits bulbes bleus ou dorés au-dessus des tombes, vous plongent dans l'univers de cette immigration russe.
Je visite régulièrement ce lieu plein de nostalgie pour me recueillir sur la tombe de Bounine ou celle de Noureev, Tarkovski, Serge Lifar ou les peintres, Poliakoff, Lanskoy, Charchoune et Zinaïda Serebrakova. Cette fois, j'accompagne les acteurs du théâtre Molodiojni d'Oulan-Oudé qui se sont produits au Jeu de Paume à Aix, dans le cadre de la Saison russe. Alexandre Fishev, acteur et présentateur à la télévision d'Oulan-Oudé, a pour mission de faire un reportage sur Valery Inkijinoff.
Ce dernier, né à Irkoutsk en 1895 dans une famille bouriate chrétienne, passe une partie de sa vie en Bouriatie, puis il est admis à l'école Polytechnique de Pétrograd. Il se dirige vers le théâtre, et il sera considéré comme le meilleur élève de Vsevolod Meyerhold. En 1928, Vsevolod Poudovkin le choisit pour interpréter le rôle principal dans son chef-d'œuvre « Tempête sur l'Asie » (« Le descendant de Gengis-Khan ») qui retrace la guerre civile en Mongolie. Paru sur les écrans de France, d'Allemagne, de Hongrie, des Pays-Bas, le film a eu un franc succès. Rien ne semblait pouvoir empêcher la gloire d'Inkijinoff. Et voilà que... son nom disparaît du générique du film. Il avait été décidé de rayer de l'histoire le nom de l'acteur. En effet, en 1930, pendant sa visite à Paris avec un groupe de cinéastes soviétiques, Inkijinoff a décidé d'y rester. Il est descendu du train juste avant le départ...
En France, il obtient de nombreux seconds rôles à côté d'acteurs tels que : Jean-Paul Belmondo dans « Les tribulations d'un chinois en Chine », ou « Les Pétroleuses » avec Brigitte Bardot et Claudia Cardinale, ou encore « La blonde de Pékin » avec Mireille Darc, et bien d'autres encore. Avec son crâne rasé et ses yeux bridés, il a joué les Asiatiques dans de nombreux films où il sut donner à ses personnages une dimension inquiétante. C'est avec beaucoup d'émotion que les acteurs d'Oulan-Oudé se recueillent sur la tombe d'un des leurs, enterré si loin de sa terre natale. Dans un coin de la tombe, un ami a déposé une petite bouteille de vodka. A côté, c'est une autre bouteille, avec une tasse. Quelqu'un a aligné soigneusement des galets peints, ramassés sur les bords du lac Baïkal, ainsi que des pièces de monnaie et des bonbons. Dans un coin, une pochette en plastique renferme un carnet. La lecture de caractères cyrilliques, bien régulièrement dessinés, révèle le passage d'une délégation en 2004 d'Oulan-Oudé, composée du ministre de la culture et de plusieurs personnes de la capitale de Bouriatie. En 1994, un an avant le centième anniversaire d'Inkijinoff, coïncidant avec l'anniversaire de la cinématographie russe, un fonds à son nom a été créé. Il effectue en permanence des recherches, non seulement en Sibérie, mais aussi à l'étranger. En octobre 2006, des exemplaires pilotes du livre « Bouriat Valery Inkijinoff dans le cinéma européen » ont paru en Russie. Les auteurs du livre sont : une journaliste, présidente de l'association européenne de la culture bouriate GRALTAN (Paris) Galina Rybina et Bernard Druon, écrivain français (petit-neveu de l'écrivain et académicien français connu, Maurice Druon), membre du Fonds International Valery Inkijinoff. A côté de la tombe d'Inkijinoff reposent sa fille, morte à l'âge de huit ans, et sa femme qui l'avaient suivi dans son périple. Un rosier aux roses pâles grimpe au-dessus des tombes. Valéry Inkijinoff, qui repose à des milliers de verstes de sa Sibérie natale, est une figure représentative d'une parfaite intégration, malgré les difficultés, dans son pays d'accueil, dues à l'expatriation.