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Portraits et destins: Le dernier des Mohicans de la colline russe


Pour rien au monde Boris Schwetssoff, malgré ses quatre vingt douze ans bien sonnés, ne troquerait son cabanon les pieds dans l'eau contre un de ces appartements équipés d'ascenseur et de toutes les commodités modernes. « Le dernier des mohicans » est heureux comme un pape dans son petit coin de paradis. Après une enfance dans ce quartier de Bormes les Mimosas, une scolarité à l'école communale du Lavandou et de longues pérégrinations il s'en est retourné ici, au pied de la colline russe, à la Favière.

Comment le petit garçon né en 1917 au fin fond de la Sibérie s'est il retrouvé là ? Par quel destin l'histoire l'a t- elle propulsé hors de son pays natal ? « Le dernier des mohicans » et c'est ainsi qu'il se présente est le digne représentant de la mythique colline russe de ses origines à nos jours. Lui qui est donc né en octobre 1917 à Irkoutsk en Sibérie à côté du lac Baïkal nous confie qu'il a gagné quelques jours sur sa retraite. La France n'a jamais voulu ajuster son acte de naissance au moment de sa naturalisation française alors que le calendrier grégorien est en avance de plusieurs jours sur le calendrier julien.

Autrefois, Sa famille originaire de Sibérie s'était enrichie dans le négoce du thé en achetant la précieuse denrée aux caravanes sur le chemin de la Chine pour la revendre dans toute la Russie. Et comme tant d'autres sa famille avait plié bagages devant l'avancée des bolcheviks et s'était retrouvée dispersée aux quatre coins du monde. Une partie de la famille Schwetssoff, les grands parents en tête avait quitté la Sibérie via la Mongolie, la Chine le Japon pour atterrir quelques années après en France. La grand-mère Apollinaria Scwetssoff avait rendu visite à la Favière à sa sœur, épouse, du peintre d'origine polonaise né en Ukraine, Jean Peské. Ce dernier avait fait construire une petite maison baptisée « Bastidoun » à la pointe du cap Gouron. Il partageait sa vie entre le Lavandou où il peignait des pins et des paysages méditerranéens, entouré de sa famille et Paris.

La grand-mère de Boris Scwetssoff avait été séduite par ce petit coin de terre encadré de collines. C'est un coup de foudre et elle achète aussitôt une maison au milieu des terres qui se noient dans la mer au Cap Gouron. Madame Schwetssoff invite d'autres émigrés à séjourner chez elle comme Ludmilla Sergueevna de Wrangel fille du professeur de médecine Elpatievsky. Une idée germe dans la tête de Ludmila Wrangel dont le mari possède un garage a Paris. Elle met tout de suite cette idée en pratique et organise un réseau parmi ses connaissances russes et les incite à acquérir des parcelles de terrain à la Favière pour y construire des pied-à-terre. Et de fil en aiguille les russes de Paris de Grenoble et d'ailleurs viennent passer leurs vacances au soleil du midi, dans ce havre de paix et recréent une ambiance à la russe : guitare balalaïka, chants, danses, soirées poétiques et musicales, discussion, évocation de la mère patrie jusque tard dans la nuit.

C'est ainsi que se côtoyaient dans cette colonie russe le mathématicien Ervand Kogbetliantz, l'ancien ministre Milioukov, l'ancien président de Crimée Salomon Krym, l'architecte Albert Benois. le poète SachaTcherny l'écrivain Kouprine et tant d'autres.

Boris Schwetsoff insiste pour nous accompagner dans ce qu'il appelle le vallon des russes. Les nouvelles constructions massives et les clôtures laissent peu de place aux vestiges de la colline russe. Nous grimpons par petite route sinueuse jusqu'au sommet de cette colline boisée. Dans le contrebas se dresse le petit bâtiment des toilettes communes construit de bric et de broque et qui a tenu le coup, vestige de cette colonie russe.

Boris Schwetssoff nous aurait bien montré la minuscule maison d'Ivan Bilibine et de sa femme la céramiste Chtchekotikhina-Pototskaia construite en 1927 mais les portails et les clôtures empêchent l'accès. Le célèbre peintre et décorateur de théâtre, Ivan Bilibine a passé de nombreux étés dans son cabanon avant de s'en retourner dans les années 36 en Union Soviétique pour mourir là-bas au cours du siège de Leningrad. Le Musée russe de st Petersbourg expose quelques unes de ses aquarelles et dessins au fusain représentant les paysages de la Favière.

Bien d'autres émigrés russes séjourneront à la Favière tel le prince Obolensky dont la maison servait de point de vente et les russes s'y arrêtaient avant d'entreprendre l'ascension de la colline après une journée de plage. Si Boris Schwetssoff se souvient du séjour de Marina Tsvetaeva chez Ludmila Wrangel au cours de l'été en 1935 ? Il était trop jeune à cette époque ou préoccupé par d'autres sujets ; il se souvient de certains noms, de certaines histoires ou faits rapportés concernant tous ces artistes mais pas précisément de la poétesse. Marina Tsvetaeva accompagne son fils Mour sur la plage de la Favière mais confie que trop pure beauté des paysages et le calme serein de cet environnement ne contribuent pas à son inspiration.

Durant plusieurs étés le couple Gontcharova et Larionov passeront l'été alors que Natalia Goncharova dessine des décors pour les ballets russes de Diaghilev.

Et puis Rojankovsky, le dessinateur des albums du père Castor qui ont nourri notre enfance a passé plusieurs étés là-bas avant d'émigrer aux Etats-Unis et de faire une magnifique carrière. Qui n'a pas observé attentivement dans son enfance les magnifiques illustrations de Michka, ou de Coucou, Quipic le hérisson ou encore Panache l'écureuil ou Bourru l'ours brun ?

Nathalie parrain la fameuse illustratrice fait aussi partie des célèbres résidents de la Favière. Et puis, Olga Khoklova danseuse des ballets russes et plus tard l'épouse de Picasso y ont fait une halte ;Diaghilev s'y arrêtait pour goûter l'authenticité de ces paysages après le faste des palaces de Venise et Monaco. Coco Chanel et tant d'autres ont admiré ce paysage sauvage à perte de vue aujourd'hui défiguré par un port et une avancée sur la mer qui masque la perspective.

Si pendant la guerre l'armée allemande s'est installée à la Favière et a délogé ses habitants une association « plage et colline » s'est organisée par la suite pour maintenir encore quelques temps ce lieu mythique où des russes chassés de leur terre natale se sont regroupés pour constituer une colonie unique en son genre.

Georges Klimoff a eu lui aussi dans les années 80 sa période Bormes les Mimosas et les folles soirées animées de la Favière. C'est l'époque où les fameux cabarets russes de Paris, le Sheherazade en tête prenaient leur congé annuel et Marc de Loutchek avec ses danseurs et musiciens y séjournaient et enflammaient les nuits étoilées de la colline russe. Guitare balalaïka, chants et musiques russes et tziganes embrasaient la colline jusqu'au petit jour.

Un entrepreneur en peinture habite là depuis plus de quarante ans et il se souvient de ses insomnies provoquées par ces russes sympathiques mais un peu trop fêtard à son goût. « Quand on se plaignait du bruit ils vous invitaient à se joindre à eux pour participer à la fête. » « Il fallait voir le lendemain les brouettes de bouteilles vides qui dévalaient la pente de la colline ». « Les russes, ils ont tous vendu à des français mais jamais entre eux. Des russes il n'y en a plus sauf cette petite maison en contre bas. Les petits enfants reviennent de temps en temps. » On remarque tout de suite la construction à la vite des russes souvent désargentés qui ne pensaient pas à un investissement à long terme mais voulaient tout de suite un toit pour passer des temps heureux au milieu de leurs congénères. Certains plantaient des tentes de fortune ou louaient une pièce à des gens du cru dans les environs. C'est à cette époque que Geroges Klimoff a fait la connaissance de la cuisinière des Kennedy qui revenait en vacances dans ce lieu qu'elle avait connu enfant. Un jour c'est le metteur en scène du film Batman qui débarque dans une somptueuse limousine si large qu'il ne pouvait pas manœuvrer sur les petites routes de la colline.

A présent il ne reste que peu de traces de cette colonie russe implantée dans un coin sauvage de Bormes les Mimosas : quelques cartes postales, des photos, des dessins et peintures, des récits. De rares maisonnettes encore sur pied et la figure bien vivante du dernier des mohicans, dernier témoin de la colline russe depuis ses origines.

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