Lors de sa visite en Provence, l’historien de la mode, Alexandre Vassiliev a donné une interview exclusive à Datcha Kalina. Il a parlé de ses nombreuses activités et de sa prochaine exposition "La mode aux courses" qui se déroulera au Musée des Arts Décoratifs et de la Mode au Château Borély à Marseille. Il nous a aussi confié son opinion sur la France, sur l'Union européenne et nous a dévoilé son amour pour la Provence.
- Quels sont les endroits que vous aimez visiter dans le sud de la France?
Alexandre Vassiliev: - Comme tout le monde, j'aime beaucoup la Provence et j’y viens souvent. J’ai séjourné en vacance mais aussi pour mes activités. Quand j’étais plus jeune, j'ai travaillé pour le festival d'Avignon. Dans les années quatre-vingt j’ai mis en scène "Galerie du Palais" d’après Corneille et j’ai monté, une première en France "Coeur de chien" de Mikhaïl Boulgakov, ainsi que «Contes bariolés» de Tchekhov. Chaque séjour à Avignon avait son importance.
J’aime visiter Aix-en-Provence, cette très belle ville, aristocratique, ville des intellectuels, ville dans laquelle j’ai beaucoup de souvenirs très agréables. A chacune de mes visites, je dîne aux « Deux Garçons» et je chine chez les antiquaires. Cette fois j’ai encore visité le Musée Granet et j’ai vu une nouvelle exposition consacrée à l’art baroque, tout y est très beau, tout me plait, je ne vais pas le cacher.
Pour mes affaires professionnelles je me rends souvent à Grasse. Nous avons filmé une série documentaire sur les parfums pour la chaîne russe KULTURA, devenue très populaire. Je vais aussi à Nice et sur la Côte d'Azur ...
- Allez-vous à Marseille?
Alexandre Vassiliev - …et Marseille, bien sûr, cette ville si particulière, déjà la porte de l'Afrique. La population est très cosmopolite et ce n'est pas tout à fait celle que nous (les russes) imaginons en France.
J’adore aussi le Luberon, Roussillon, Gordes, Lourmarin, ces villages merveilleux ... J’attache une grande importance à la visite des foires aux antiquaires très fréquentes dans la région et la visite des musées, base de mon savoir et de mon éducation.
- Que pouvez-vous nous dire au sujet de la prochaine exposition à Marseille?
Alexandre Vassiliev: - L'exposition aura lieu au château Borély, au Musée de la Mode et des Arts décoratifs, sur le thème « La mode aux courses » pendant un siècle de 1850 à 1950. Cette exposition est organisée en partenariat avec le Musée Borély et la fondation Alexandre Vassiliev, ainsi que les maisons de couture Chanel et Hermès, qui présentent également quelques pièces de leur collection. J’expose une quarantaine de robes et une centaine d’accessoires.
L’exposition s’ouvrira au public le 25 juin et certainement de nombreux lecteurs de votre site, intéressés par la mode, viendront avec plaisir. Le vernissage de l’exposition sera un évènement unique. Tous les invités porteront des chapeaux. L'exposition durera jusqu'à l'automne et nous espérons qu’elle obtiendra un grand succès.
J’organise aussi des expositions en Russie et en Europe. Le prochain rendez-vous aura lieu à Tallinn, au Musée "Kuma" et sera dédié à la mode Art Déco. Si vous permettez, pour me flatter un peu, en plus de l’expo à Marseille, j'ai inauguré une exposition à Riga "Révolte dans le boudoir", et une autre à Vilnius "De la guerre à la paix", à Kaunas « mode Art Déco ». Nous avons aussi une exposition au Musée d'Art d'Irkoutsk, « Cent ans de la mode russe », et deux expositions à Moscou, une consacrée à des gravures françaises et des éventails, et l'autre consacrée aux Robes de soirée du XIX siècle.
J'essaie de présenter un maximum de ma collection, qui compte environ 50 000 pièces du XVIII e au XXI e siècle. J’enrichis cette collection depuis plus de 30 ans, résultat de ma présence en tant que spécialiste de la mode dans les ventes aux enchères. Un grand nombre de costumes russes ont été retrouvés en France, confectionnés dans les maisons de couture russes à Paris au début du XX e siècle, comme je l'explique dans mon livre «La beauté en exil». Ma collection fait partie d’une des plus importantes collections privées sur la mode dans le monde. Ainsi, lorsque le Musée de Marseille nous a contactés nous avons proposé toutes les pièces nécessaires pour le thème "La mode aux courses."
- Je voudrais connaître votre attitude vis-à-vis de la France ?
Pourquoi en 1982, êtes vous parti pour la France?
Alexandre Vassiliev: - La France est un pays étonnant, phare de la culture et de la mode. Et, bien sûr, à cette époque, quand je suis arrivé en France, le pays était différent. La crise économique n’existait pas encore. Depuis le passage à l’euro et jusqu’à maintenant la vie en France est sept fois plus chère. Lorsque vous aviez 100 francs dans votre poche vous étiez un vrai nabab, ce qui n’est plus le cas maintenant avec 100 euros. Une chemise pour homme, coûtait 75 francs et aujourd'hui elle coûte 75 euros.
- Est-ce que cela veut dire que avant les gens s'habillaient avec plus d’élégance?
Alexandre Vassiliev: - Non, ils ne faisaient pas autant attention, la vie était plus sereine et ils avaient confiance en l'avenir. Je crois que l'Union européenne a tout gâché. Je suis un ardent opposant de l'UE, mais il n'y a pas d'autre alternative à proposer. Le passage à l'euro dans toute l'Europe, à mon avis est une catastrophe. En Lettonie par exemple tout est devenue 20% plus cher au cours des cinq premiers mois après l’entrée de ce pays dans la zone euro et le même sort attend la Lituanie. Je comprends que nous vivons dans une ère de mondialisation, mais cette mondialisation affecte douloureusement la qualité de vie. La qualité de vie en France a diminué, la qualité des produits alimentaires a baissé ainsi que le style vestimentaire ...
Ce qui s’est amélioré ? Plus de touristes russes, en effet, avant il était presque impossible de rencontrer les touristes russes en France. Maintenant, ils viennent plus souvent dans ce pays. De riches russes ont énormément investi dans l'immobilier en France. J'ai un ami, pour vous donner un exemple, qui a acheté un domaine viticole en Provence de 400 hectares. Il y produit un rosé sous l’appellation "Aurore sur la Moskova", qui d’après lui a un franc succès. (sourire)
Le monde a beaucoup changé. Vous êtes venue ici dans une bonne période car vous pouvez toujours rentrer chez vous. A l’époque, quand je suis arrivé en France ce n’était pas possible de retourner en Union soviétique. Je n’ai pas pu rentrer avant 1990. Mais ce n'est pas grave! Beaucoup de gens n’ont pas pu revenir en URSS pendant plus de 30 ans, donc je n’ai pas à me plaindre.
À cette époque, quand je suis arrivé en France, les émigrés russes étaient pauvres et ramassaient les sacs plastiques dans les rues ... Aujourd'hui, les touristes russes sont les clients qui dépensent le plus. Mais il ne faut pas oublier que les prix en Russie sont trois fois plus élevés qu'en France, et donc pour un touriste russe en France les prix sont très bas.
- D’après votre biographie vous avez beaucoup étudié à Paris. Mais à part les notions académiques, qu’est-ce que la France ou les français vous ont appris?
Alexandre Vassiliev: - Le bon goût, l'amour de la vie et le sens de la démocratie. Peu importe notre vision de la France, c’est un pays épris de liberté. On y retrouve un concept souvent irritant pour les russes, mais très important - Le client est roi, et si le client suivant est plus riche, ce n’est pas une raison pour négliger ou parler mal au premier client.
En France, il y a une caractéristique qui me frappe et me semble être archaïque, voici pourquoi. Il s'agit du mode de vie défini depuis des décennies, je dirai même des siècles. C'est une question d'éducation: vous ne pouvez pas appeler après neuf heures du soir ou avant neuf heures du matin, c’est très mal vu de parler fort dans un restaurant, vous ne pouvez pas commander des plats qui ne sont pas au menu, tout ce que les russes aiment faire. En France on respecte scrupuleusement les lois pour faire comme il faut. Tout cela en Russie n’existe pas, les gens sont vraiment mal élevés et se comportent à leur guise. Mais c’est ainsi en Russie, les gens ne sont pas conditionnés par les conventions et laissent libre cours à une plus grande créativité. En France aujourd'hui en raison de la nouvelle loi concernant l’éducation, la créativité n'est plus possible. Les français vivent dans l’ancien et il y a peu de constructions modernes.
Néanmoins, je serai toujours fidèle à la France. Pour moi, la France sera toujours le bastion du bon goût, de la cuisine raffinée, et de la mode, des bonnes manières et la bonne attitude vis-à-vis de l'histoire. J’ai beaucoup de sympathie pour cela, et même une certaine compassion car je sais qu’en France il y a de moins en moins d'argent et qu’il est difficile de maintenir ce bon niveau de vie. Je serai attristé si la France devenait une nation de second ordre, car la France est un modèle unique et surtout en Provence région du bon vivre et du bon goût et d’un certain luxe.