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  • Pierre JANNOTTA

Si la Russie, l’éternelle et grande Russie n’existait pas, il faudrait l’inventer...


Bien chers amis,

Croisière! Voilà prononcé le mot magique, évocateur de plages de sable blanc, de palmiers et autres paysages des Caraïbes. Un esprit voyageur pourrait y associer les îles et le ciel bleu de la mer Egée, ou encore quelques fjords norvégiens. Et pourquoi pas? Mais le concept, s’il en est, souffre d’une exception au moins; en effet, qui songerait à une croisière sur le plus long fleuve d’Europe, «la mère Volga » comme disent les russes? Les plus sérieux fronceraient le sourcil, les inquiets tourneraient le talon.

Mais c’est sans compter sur les membres de l’association franco-­russe Datcha Kalina, chevaliers sans peur des temps modernes.

Aussitôt dit, aussitôt partis!

Et si certains de ces aventuriers avaient déjà foulé la terre des tsars, d’autres, tout aussi téméraires, s’engageaient effrontément dans l’expédition; et quelle expédition !

Arrivés à Moscou par la voie des airs, ils découvrent une capitale trépidante de quatorze millions d’habitants, où les merveilleuses coupoles à bulbe des églises côtoient les grattes ciels ultra-­modernes, déjeunent au luxueux café Pouchkine, arpentent la rue Arbat, ne dédaignent pas le Kremlin et ses cathédrales, ni le rutilant métro de l’ère soviétique avec ses neuf millions d’usagers quotidiens. Mais l’aventure ne fait que commencer, car en toute confiance, ils embarquent sur le bateau qui les a fait rêver jusqu’ici : un mini paquebot en sorte, ou détente et gastronomie se succèdent, entre soirées de gala, cours de cuisine et de langue locales, animations folkloriques et autre exercice de survie; car on ne sait jamais, le Andreï Roublev de son nom pourrait suivre le sort du Titanic !... Mais pour le plus grand bonheur de tous, il n’en a rien été, et tous nos desesperados rentreront à bon port!

Oui, l’aventure ne fait que commencer, car c’était sans compter sur un ennemi farouche: le brouillard; un ennemi invisible qui empêche, par sa nature même, de le voir; et hop, voilà le premier lieu d’abordage qui échappe au Corps expéditionnaire: ils n’iront pas à l’assaut d’Ouglitch.

Passé le moment de tristesse, ils se préparent pour la suite: Iaroslav, la ville des monastères, des quarante églises ou encore berceau de la Volga. Mais le capitaine a prévenu qu’il n’attendrait pas, et l’ancre est levée pour la prise de Goritsy, avec son grand monastère, ses chœurs sublimes et ses innombrables marchands du temple.

Sous le nombre d’appareils photographiques de nos voyageurs invétérés, Goritsy a succombé; elle a accepté de venir en France, sur photos, afin de se montrer à ceux encore incrédules de sa beauté; et elle a réussi.

Et puis cap vers le nord, la Carélie pour être précis, dont la latitude est celle de l’Alaska. Lieu d’abordage, la mythique Kiji, et son église de bois. Et nos marins repartent, à travers des centaines de kilomètres de taïga, impénétrable comme une jungle, d’où émergent ça et là, sur la rive, isbas colorées, pêcheurs isolés, ou encore vestiges d’une histoire révolue.

Ils traverseront le réservoir de Rybinsk, petite mer intérieure, ils poursuivront toujours vers le nord, et atteindrons, via le lac Blanc, le lac Onéga et ses cent seize mètres de profondeur, et tout en haut, comme une perle se dévoilant sur la rive, ils apercevront l’île et son église, son moulin, et, plus loin, la petite église du quatorzième siècle.

Kiji, ils en rêvaient, ils l’ont atteinte, ils l’ont admirée et l’ont aimée.

Mais au pays des Vepses, rien n’est facile; les conditions sont rudes, le climat y est rigoureux, et les autochtones peu nombreux; cinquante en tout au meilleur de l’année.

Non, nos pirates du sud ne sont pas faits pour cela; ils ont adoré Kiji, mais ils savent que leur vie n’est pas là; et ils rembarquent pour un autre lac, deux fois moins profond mais deux fois plus grand, le plus grand d’Europe: Ladoga!

A présent, ils n’ont plus qu’un but, atteindre Saint-­‐Pétersbourg, dont on leur a tant vanté les merveilles, et mettent donc le cap au sud-­‐ouest, déjà curieux des magnificences à venir, impatients de découvrir la ville de Pierre le Grand.

Mais une dernière escale les attend sur la Svir, ce fleuve qui les conduira jusqu’aux ors de l’Ermitage: un village déserté après un incendie qui le ravage entièrement à la fin de la deuxième guerre mondiale, et rebâti ensuite par un milliardaire russe à des fins touristiques. Dès l’accostage, nos flibustiers s’élancent et partent à la conquête des lieux; en une heure, ils tiennent la place et peuvent à loisir, contempler un artisanat unique et de très haute facture. Ils ne seront pas non plus insensibles aux charmes des isbas aux couleurs chatoyantes, à la vodka ou autres bijoux d’ambre qu’ils découvriront. Ils n’y auront plus trouvé les traditionnels pêcheurs vepses qui habitaient les lieux, mais une nature sauvegardée, un habitat typique et des champignons florissants … Et quand la berge s’éloignera, Mandrogui restera pour eux une belle étape, dont la simplicité et la tranquillité ne seront plus, à Saint-­‐Pétersbourg, qu’un agréable souvenir.

La capitale culturelle de la Russie est enfin atteinte; au fil de la Neva, nos pirates d’un soir y débarquent. Tout est à leur portée, tout est beau, tout est vivant, tout n’est à la fois que mouvement et sérénité. Pierre le Grand l’avait voulu belle: elle est magnifique, rayonnante, luxueuse, unique. Elle est européenne, mais avant tout russe, comme l’amie que j’y ai rencontrée et m’a dit: «Je suis une vraie russe». Et ils n’en reviennent pas: tout est exceptionnel; des musées aux églises, des palais aux statues, de sa météo à ses canaux … sur lesquels ils entreprendront une dernière folle équipée, car l’ancienne Leningrad mérite d’être parcourue.

Il faut enfin rentrer en son royaume, où tout cet impressionnant périple sera inscrit au trésor des souvenirs, tel un butin.

Si la Russie, l’éternelle et grande Russie n’existait pas, il faudrait l’inventer; car elle est indispensable à chacun, à tous.

Elle vit en moi en secret, dans l’intimité profonde de mon être, comme si elle me disait:

«Ton pays m’importe peu, pourvu que tu aies l’âme russe ».

Etrange sentiment dont André Malraux écrivait en son temps:

«La Russie n’est pas une énigme, elle est un mystère». PJ


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